Elle se prénomme Nękana

Chapitre 1

Elle se prénomme Nękana

Vendredi 22 septembre – 23 heures

Douze années se sont écoulées à présent. Corentine a quitté la maison il y a quelques mois et j’ai récupéré sa chambre. Elle apparaît plus grande que mon ancienne et au moins, le chauffage fonctionne. J’en ai profité pour la décorer à ma façon, en placardant les murs de posters. J’adore les groupes de musique coréenne, la K-pop. Quand on rentre dans la pièce, ça se voit d’ailleurs : j’en ai mis partout partout !

Je ne m’attarde plus du tout aux interventions surnaturelles qui parasitent notre living : elles me dérangent peu et je descends rarement dans la salle de séjour. A part les repas et parfois la télé le soir quand mes parents dorment, je passe tout mon temps libre dans mon pigeonnier.

Fred, mon beau-père, de nature inquiète et éternellement soucieux de son bien-être, envisage cependant de faire appel à un géobiologue. Il parle de sonder les failles, les eaux souterraines, les influences négatives, qu’il dit… Pourquoi pas, si ça peut le rassurer.

Ce soir, je suis couchée sur le canapé, somnolant devant un DVD. Soudain, j’entends frapper à la porte du living. Plusieurs coups secs, à la suite.

— Entre, pas besoin de toquer, j’ai enfilé un pyjama. Je suis vêtue !

Personne ne réagit et on continue à marteler le bois. Je me lève pour aller ouvrir et… Mais c’est vrai, il n’y a plus de porte : Fred l’a retirée hier pour la poncer, car elle frotte sur le sol quand on la ferme. Du coup, maman a suspendu une tenture pour cacher l’accès au couloir, le temps de la réparation. Alors, comment puis-je percevoir un toc-toc cadencé sur du tissu ?

Le rideau rouge vibre de-ci, de-là comme du linge mis à sécher dehors. Je me gratte machinalement le cou tout en cherchant la logique. L’étoffe s’agite toujours, d’un mouvement régulier, comme le balancement d’un pendule.

Je continue à observer le frémissement tout en me frottant les yeux. Je suis à moitié réveillée ou semi endormie, ça revient au même. Je reste encore dans le gaz. Pourtant, je prends tout doucement conscience : je me tiens en présence d’un truc pas net du tout.

J’essaie de ne plus fixer la toile qui valse, balayant le parquet du living et le carrelage du couloir. Pitié : ne plus percevoir le claquement du fameux « toc toc » qui recommence, je n’arrive pas à comprendre… Trop c’est trop : je dois absolument examiner ce pan d’étoffe.

Si ma frangine habitait encore la maison, j’aurais pu croire qu’elle tentait de me taquiner.

Je la connais la coquine : c’est parfaitement son style. Mais non, la tenture ne révèle rien… Ni devant – ça fatalement je l’aurais vu n’est-ce pas – ni derrière non plus… Personne ! Et puis, comme je le disais, ma sœur vit avec son copain depuis quelques mois, donc forcément impossible qu’elle réside ici !

Ce ne sont pas non plus mes parents qui sont partis se coucher très tôt. Fatigués de leur journée trop chargée, ils veulent péter la forme pour demain matin. Ils m’ont laissée devant mon film, en diminuant d’ailleurs le son de la téloche pour ne pas être dérangés.

Maman m’a priée de quitter doucement la pièce et m’a chuchoté :

— Silence en remontant n’est-ce pas : tu vérifies que tout soit bien fermé. Tu éteins tout, le poste, les lumières. À demain, ma puce.

Donc, non, ce ne sont pas eux : ils doivent être profondément endormis à cette heure. Ils se mettent des bouchons de cire dans les oreilles et, du coup, ils ne perçoivent aucun son provenant de la maison. Je pourrais chuter dans les escaliers, un voleur entrerait : ils ne s’en apercevraient même pas.

Je songe aussi à notre chatte qui tente constamment de forcer le passage dès qu’elle peut pour se faufiler au salon. Elle aurait pu réussir à pénétrer sans que je m’en rende compte. Mais avez-vous déjà rencontré un félin qui peut toquer avec sa patte sur un voilage ? Pas moi !

C’est carrément débile d’émettre une telle éventualité. Mais dans des situations pareilles, on pense à tout, même aux suppositions les plus absurdes.

Le temps que je passe toutes ces possibilités en revue, je commence à émerger. Mon cerveau, qui fonctionnait encore au radar il y a quelques minutes, m’envoie les premiers signaux de stress. Dans la pénombre, je reste figée, momifiée, comme anesthésiée. Le couloir se révèle vide de toute vie humaine ou animale. Une sorte de courant d’air se faufile entre mes jambes, un souffle discret, mais bien présent. Ça me fait une sensation bizarre.

Mon cœur bat de plus en plus fort, à une vitesse exponentielle. Ma poitrine me fait mal, me serre comme un étau. Je transpire de partout. Je me passe la main sur le front : il brûle et semble humide. Ma bouche devient sèche, j’ai soif. Ce n’est pas le moment d’aller me chercher un verre d’eau. De toute façon, je n’en ai ni la force ni le courage. Mes jambes ne me tiendraient pas. Je tremble de partout et je respire péniblement. Je suis prise de vertiges et je commence vraiment à tourner de l’œil.

J’arrive juste à balbutier :

— Hé ho, là-dedans, y-a-t-il quelqu’un ?

Je me sens complètement stupide de monologuer toute seule. Mais comment agir logiquement dans des situations qui absurdes ?

Je regarde à droite, à gauche, sans broncher, en tirant sur mes yeux, pour ne rien rater.

Après quelques minutes, j’arrête, car je commence à avoir mal aux sourcils. Mon crâne va exploser, La tension monte, je n’arrive pas à la gérer. Je ravale ma salive à plusieurs reprises, ma bouche devient encore plus pâteuse. Mes oreilles bourdonnent, mes doigts s’engourdissent.

Je lance, une dernière fois, une interrogation dans le vide :

— Si vous vous cachez là, pitié, montrez-vous ! Apparaissez ! Ne me laissez pas ainsi, avec mes angoisses, mes frissons…

Et au moment où je regagne le living, dépitée de n’avoir obtenu aucune réaction, j’entends comme un murmure, un bruissement sourd.

— Nękana, je m’appelle Nękana…

Pudu a disparu

Extrait (et prologue) de mon roman « Dans de beaux draps »

(« Poil de crotte a disparu » est un titre alternatif)

 

J’ai changé  mon titre . Moi, je trouve ça super original en tout cas : Poil de crotte a disparu
(le titre est mis ici donc il y a une date et heure d’existence)
Ca passera ou ça cassera: je verrai

Pour l’explication du titre, ce sont 4 chats qui mènent une enquête afin de retrouver le bouledogue de la maison qui a disparu.
Comme la maîtresse n’y arrive pas, ils ont décidé de mettre la main à la pâte.  

 

Ce n’est pas le texte original du roman: les passages coupés sont d’ailleurs signalés par des […]
Sur ce blog, j’ai vraiment de grosses difficultés à mettre en forme (alinéas qui ne veulent pas se faire, …): veuillez m’en excuser

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7 heures

        — Pudu, où es-tu ? Puduuuuuuuuu…
        Ouille, mes pauvres oreilles vibrent comme une peau de tambour : va-t-Elle s’arrêter de s’époumoner de la sorte ?
[…]
        Mais c’est vrai, au fait, où est donc passé Pudu ?Ce clebs puant a disparu. Bien m’en fasse. Rhô je suis méchante. Méchante mais sincère au moins. Il me semblait bien que la cour fleurait bon ce matin, sans l’odeur nauséabonde de ses pâtés de caca odorant et putréfié qu’il dissémine un peu partout, au gré de sa fantaisie et surtout de sa paresse. Pudu, celui-là, il porte bien son nom. Il ne l’a pas volé ! Et on peut extrapoler autant qu’on veut pour les explications. Pudubek, Puduku, Pudupwal, Pudepartou et j’en passe et des meilleures. Une véritable infection que ce chien.
        Il pète comme s’il ne se nourrissait exclusivement que de pois chiches. Il a cependant le mérite incroyable de produire des odeurs inédites, suivant ce qu’il engloutit comme aliments ou crasses. Et il engloutit tout ce qui lui passe sous les dents, goulûment comme un porc affamé. Donc, ouvrez grandes vos papilles : sensations nouvelles, je vous le garantis !
        Et si ce n’était que péter : ce clébard pue. Il daube, il schlingue, il empeste : je voudrais trouver un mot en plus fort, plus puissant.
[…]
         A croire qu’il a le corps qui se gangrène de partout.
[…]
         Il pète mais également il rote et il ronfle. Il ronfle même éveillé. Bref il ronfle tout le temps. Et quand il ne ronfle pas, il émet des petits grognements, tel un gros cochon. Style « groin gruîîî gruik grouik ». Par contre des  » aou ahouahou ouaf wouaf » : jamais. Ce cabot n’aboie jamais : il grogne, il grouine et cela à longueur de journée. Je dirais qu’il est plus asthmatique que Dark Vador.
[…]
Il mange une croquette, il rote. Il boit de l’eau, il rote. Il rote bien dix fois pendant le repas. Et pas des petits rototos hein, non, lui il envoie…
[…]
J’aurais envie, si je pouvais parler, de demander à ma maîtresse de l’euthanasier. Ni plus, ni moins. Il me fait pitié parfois mais surtout, il m’énerve comme pas possible.
[…]
A croire que ce n’est pas un chien mais un cochon. Ou un cochon réincarné en chien.

10 heures

          Je parle, je parle mais avec tout cela, où est donc passé Pudu ?
[…]
         Ce n’est pas qu’il soit méchant – c’est une crème ce chien – mais il est très vif et donc un peu trop brutal pour mon caractère nonchalant de chatte siamoise. Plutôt croisée siamoise, mais ce n’est qu’un moindre détail et qui sait, mon père inconnu était peut-être lui aussi un splendide chat de race. J’imagine un radgoll aux poils soyeux ou un abyssin à la ligne athlétique, pourquoi pas. Çà, je ne le saurai sans doute jamais.
[…]
          Ma vraie maîtresse, en fait, c’est l’aînée des deux filles de la famille. Je suis son modeste cadeau d’anniversaire. Non, je n’ai pas été livrée avec un gros nœud rose autour du cou mais c’est tout comme. J’ai donc été offerte pour ses trois ans. Elle a quinze ans – je vous l’ai déjà dit tout à l’heure, et moi, donc j’en ai douze : mais oui, je sais compter. Depuis que je suis toute petite, je compte : mes croquettes séchées, les mouches qui me taquinent outrageusement quand je fais ma sieste… Elle est comme moi question caractère : entière, râleuse, chiante (ou chieuse : c’est du pareil au même) et un tantinet emmerdeuse.
[…]

16 heures

        Tiens, Elle est rentrée. Bredouille, les yeux cernés d’avoir trop pleuré.
[…]
        Elle se rue sur l’ordinateur et je la vois chipoter, pianoter. Ses doigts volent sur le clavier, martyrisant les touches tellement Elle tape vite et fort. Elle imprime une fois. Fait la moue. Puis reprend son courage à deux main et rectifie.
[…]
         Enfin, Elle daigne quitter sa chaise avec les dernières épreuves en main. Je suis contente pour elle et j’en profite pour manifester ma joie en m’étirant, collée contre le carreau. Mes griffes éraflent la vitre en un crissement métallique que je suppose agaçant. Pour parfaire la scène, je miaule à tue tête.
         — Miaou maouw miaou maouw miaou maouw
    — Lachi, la ferme ! La situation n’est pas à venir m’emmerder avec tes miaulements. Allez, va-t-en, je ne veux plus t’entendre. Ouste, fiche-moi le camp. Dégage !
       Pff ce sont tous les remerciements que j’obtiens. Ingrate va. Et je déteste mon nom. Lachi, c’est le diminutif de « la chieuse ». Il paraît qu’il me va comme un gant, à ce qu’elle prétend.
[…]
Puisque c’est ainsi, Elle n’a qu’à se débrouiller toute seule, sans mon aide. La voilà qui ressort, avec son paquet d’affiches sous le bras, du papier adhésif et une paire de ciseaux. Je présume que ce sont des affiches. Elle ne s’est pas amusée pendant des heures à concevoir des invitations d’anniversaire ou que sais-je. J’entends la porte d’entrée qui claque violemment et puis, plus rien. Un silence total, un silence profond.

20 heures

         Toujours est-il que Pudu n’est pas encore revenu. Foi de chatte, ça ne sent pas très bon cette histoire. Pas bon du tout j’ajouterai. Si Elle ne s’en sort pas, j’ai bien l’impression que je vais devoir m’en mêler, histoire de lui donner un petit coup de main.
[…]
      Mon cou commence à enfler, je suis un peu prétentieuse, je le sais parfaitement, ce qui fait tout mon charme ! Je ne vais donc pas la laisser dans cet état et se dépêtrer ainsi toute seule. En tant que chatte qui se respecte et comme je suis fort appréciée dans le quartier – c’est vrai, je ne me vante pas ou si peu – j’ai mes entrées un peu partout.
        Sur ce, je m’en vais chasser quelques souris inconscientes qui vagabondent dans le parc, étant donné qu’Elle a oublié de me nourrir – je la comprends. Quoique, je rectifie : je la comprends à moitié car Pudu n’est pas non plus le centre de l’univers. Ce n’est qu’un chien finalement, même pas un chat. J’existe aussi. D’ailleurs, j’étais là, bien avant lui en plus. Et puis, nous verrons ce que demain nous réserve, de bon ou de mal.
        Si Monsieur n’est pas réapparu, je mènerai ma petite enquête. Inspectrice Lachi, ça sonne plutôt bien…